écrire...
Et si je me mettais à écrire ? Après tout ça a
toujours été mon rêve. Écrire… Tel un véritable artiste, je me suis
toujours vu, un crayon à la main, grattant avec vigueur et nécessité le
papier blanc de mes temps d’ennui. C’est vrai, c’est franc, c’est
vivant et immortel : écrire.
C’est
pourtant un mot si simple que l’on utilise avec tant de dédain, avec
tant de désinvolture. Comme le demandait d’abord le maître d’école,
nous commencions l’apprentissage de cet art par l’écriture symbolique
de notre prénom. Simple, enfantin, mais tellement jouissif. Le premier
mot, la première lettre écrite, restent intact en nos mémoires, tel un
évènement bouleversant, marquant à jamais nos vies. Et c’est alors que
commence l’odieux apprentissage de l’écriture à la manière d’une
corvée, d’un acte nécessaire à l’apprentissage scolaire de toute chose.
On en oublie presque le plaisir que cela procurait la toute première
fois. Cet art devient maîtrisé, mais à quelle fin ? Plaisir oublié,
désir effacé, ce n’est plus qu’un simple outil dont l’homme dépend,
telle une drogue ne procurant plus aucun effet. Comme un alcoolique
anonyme, l’homme écrit pour vivre sur quelques morceaux de papier fin.
Ce ne sont plus des mots, mais une signature, un chiffre, un nombre.
L’argent règle maintenant le temps de l’homme, et s’il écrit ce n’est
que pour en gagner plus. Écrire pour vivre… je pose ma plume, je
repousse ma feuille de papier à demi noircie d’encre.
Prenons l’air quelques minutes. Sortons quelques instants, aérons nos idées.
Le
balcon de ma chambre est proche. Je m’y installe quelques minutes. Tout
est silencieux. A cette heure, la ville dort, les feux s’éteignent, le
jour n’est plus, la lune se voile, le bruit se cache, tout est en place
pour le bon repos du dormeur. Pourtant, le sommeil n’est pas encore là.
Il ne m’a pas encore achevé. Son souffle ne m’a pas encore atteint.
Etrange. Deviendrais-je insomniaque ? Non, je ne le crois pas. Peut
être encore perdu dans mes pensées, titillé par cette réflexion, cette
nécessité humaine d’écrire pour vivre. Je ne puis m’en détacher.
Sans
fermer la fenêtre derrière moi, je fais quelques pas distraits dans ma
chambre. Pourquoi cela me tracasse-t-il tant ? Je suis bien humain ! Je
devrais comprendre cela… Et pourtant, il demeure en moi un malaise. Je
me rassois, souffle un grand coup et reprends ma plume espérant trouver
le souci qui subsiste en moi.
La
véritable question est : pourquoi tant d’hommes et de femmes ont écrit
avec tant de désintéressement ? Il est vrai que de nombreux écrivains
célèbres ne se sont vus écrire que pour survivre. Mais il en est tant
d’autres qui n’écrivent que pour eux mêmes. Tels des fous, haletant au
dessus d’un petit morceau de papier sur lequel quelques mots sont
apparus, là, de la main de cet auteur talentueux que l’on possède tous
au fond de nous. Je n’ai pas honte de l’avouer, je suis de ceux qui
jouissent d’une simple phrase bien écrite, de ceux qui ont plaisir à
écrire, sans autre intérêt que d’écrire. Ma plume circule sur le
papier. Les mots me viennent. Pareil à l’orgasme sexuel, je deviens
fous a lier. Je ne puis m’arrêter. J’écris, j’écris, j’écris. Les mots
ne sont plus importants. Je n’écris plus pour vivre car j’ai compris
que cela n’apportait qu’égocentrisme et cupidité. J’écris pour écrire.
Je vis pour écrire.
Ma plume se lève
enfin du papier. Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je composé ? Comme si mon
inconscient profitait de cet instant pour exprimer son ressentiment, je
ne reconnais plus les mots du dessus. Les ai-je vraiment écrits ? Non
impossible… Si, ne cesse pourtant de répéter une petite voix en moi. Je
deviens fou… Je suis fou… L’étais-je avant de commencer ce papier ?
Peut être… Je ne le sais plus. J’ai vécu pour écrire cela, et c’est
cela qui me fait vivre.